Finalement, tu te construis. Sans moi. Dans un autre pays, loin.
Tu vis la vie que je voulais. Celle que je désire encore, mais je sais n'être pas à même de la mériter. Tu t'organises, petit à petit. Tu deviens quelqu'un, tu t'éloignes de la condition que nous partagions. Tu deviens fort, grand, beau, puissant, certain, convaincu, important.
Je t'envie. J'ai passé chaque jour à envier, j'ai peur que cela continue irrémédiablement. À jamais.
Je déteste. Tout. Je suis aigri, tellement. Je souffre. Discrètement.
Si tu me croisais tu t'imaginerais encore que je suis un bon vivant, une bonne poire, qui voit la vie avec humour et beauté. Or, au contraire, je suis mort. Depuis longtemps. Et je fais semblant de continuer. Pourquoi faire ? Parce que je ne veux pas décevoir plus que je n'ai déçu. Je ne veux pas emporter les gens avec moi. Je veux qu'ils n'y voient rien. Je veux avoir l'air de garder la tête hors de l'eau, de dire "ça va" en leur souriant, tout en sentant que le poids qui m'agrippe m'attire vers le fond.
Mais malgré moi, je les emporte. Et c'est depuis que tu es parti que tu t'épanouis, depuis que mon influence n'est plus à même de t'enserrer. Je suis contagieux, j'empeste mon entourage jusqu'à le rendre malade. Tu n'es pas le premier qui ait fuit mon emprise et qui s'en est trouvé récompensé. Chacun de vous vit mieux lorsqu'il décide de disparaître de ma vue.
J'aimerais faire de même. Comment puis-je me laisser tomber ?