Mardi 18 septembre 2012 à 2:15

 Voici où j'en étais rendu. Là. Et c'est un peu pompeux, parce que ça s'apelle le jardin des plantes. Ben j'étais perdu là-bas, avec du brouillard à tous les étages, si vous me le permettez. Et vous voyez, j'étais sur un banc, mais pas n'importe quel banc, je l'avais bien choisi ce banc, je l'avais cherché, l'endroit le plus en retrait, l'endroit qui serait le moins fréquenté. J'avais eu du mal à la trouver, même. Bref, j'étais sur ce banc, et je pleurais, en fait. Oui c'est vrai que je pleure quatre fois par semaine, mais là c'était pas pareil parce que ça entraînait pas de soulagement. Non. Il paraît que la composition chimique des larmes est différente si ce sont des larmes de tristesse ou des larmes de joie, mais la composition de ce genre de larmes, difficile à l'imaginer. C'est comme des vieilles larmes, vous savez, des larmes des placards du grenier. Je suis sûr qu'on peut y trouver de la poussière et sans doute un peu de naphtaline. Voire même des crottes de souris. C'est bizarre d'y penser. Je pense trop, c'est vrai. Je suis comme ça, j'y peux rien. Enfin, c'est un peu trop facile. Mais bon, je suis un garçon qui imagine trop de trucs, et tout. Moi j'ai pas envie, hein, de pleurer sur des bancs, de pleurer sur mon passé et sur mes regrets, j'ai pas du tout envie, même. Je suis pas maso, j'aime pas pleurer. Surtout quand ce qui me fait pleurer c'est de ne pas avoir pleuré. Vous voyez le genre, le gars compliqué, le genre à dérouler tout le scotch et à essayer de reconstituer le rouleau après-coup. On peut pas, c'est forcé, ça colle partout et ça nous énerve, et on finit même par en pleurer, et tout. C'est comme quand le chateau de cartes tombe mais que c'est la faute de personne d'autre. C'est juste notre faute à nous parce qu'on a respiré trop fort parce qu'on était content. Et la maison des petits cochons s'est envolée, pourtant on les aime bien les petits cochons. Là on pleure parce qu'on peut pas se taper dessus, ça fait trop stupide, en fait. C'est des larmes comme ça, quand on pleure parce qu'on sait pas comment on peut se faire du mal autrement. Enfin bon je pleurais sur mon banc, comme on pleure sur un bateau, vous savez. Non en fait vous savez pas, je sais pas vraiment moi-même, mais j'avais le mal de mer quand même, alors mettons que c'était un bateau, le banc. Pis moi ce que je voulais, c'était juste qu'il y ai quelqu'un, en fait, et je me l'imaginais déjà. Ca aurait été une femme genre un peu pincée, working girl, vous voyez le genre. Et elle aurait été sans gêne: elle se serait assise à côté de moi. On s'assoit pas à côté d'un mec qui pleure, c'est pas des choses qui se font, et puis de toute façon on pense toujours que c'est contagieux. Mais elle elle s'en fout, elle s'asseoit à côté de moi. Et elle me regarde avec son air sévère, là. Je suis sûr qu'elle se veut un air de compassion, mais elle peut rien faire d'autre que froncer les sourcils et pincer les lèvres. Bon, moi je peux dire, avec mes yeux gonflés et mes levres tremblantes, et puis mes chansons tristes dans la tête. Enfin bon, je l'aime pas cette nana, pas du tout. Mais je suis content qu'elle soit là, pis elle pourrait même me passer un mouchoir, si elle est polie. J'aime bien qu'elle soit là, parce qu'on est deux personnes différentes, et on s'aime pas. Et parce que quand je suis parti, je suis sûr qu'elle a continué à penser à moi sans s'en apercevoir.
Par Aoe le Mardi 10 décembre 2013 à 17:59
Ce que ça m'avait manqué de te lire. C'est beau ce que tu racontes. Je suis toujours ébahi par des personnes comme toi, qui parviennent à changer un instant en jolie histoire. Tes mots fonctionnent, ils font marcher mon imagination.
C'est du génie.
 

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